Tuesday, August 27, 2013

Dalton Highway

Mardi 13 août

Nous quittons la cabine sous un ciel gris, pour rejoindre Fairbanks. Seulement 2h30 de route au programme aujourd'hui, mais c'est pour mieux reprendre des forces avant 3 jours sur la Dalton Highway. A plusieurs reprises, nous passons dans des zones à visibilité réduite : les incendies continuent de brûler les hectares de forêt, aidés par le vent et le temps généralement sec (de mémoire, l'un des étés les plus secs de tous les temps d'après les habitants). Nous nous arrêtons déjeuner dans un pub au bord de la route, isolé au milieu de la forêt. L'éclairage sombre et le terrarium dans lequel dort tranquillement un iguane donnent une ambiance assez particulière, mais elle est tempérée par la patronne qui prépare avec énergie les hamburgers, dans une cuisine ouverte sur la salle principale.

Nous arrivons à l'adresse donnée par notre réservation sur AirBnb, un superbe Bed & Breakfast. Trop beau pour être vrai, en tout cas au prix proposé. En effet, les propriétaires viennent d'acquérir un bâtiment à quelques centaines de mètres de là, beaucoup moins mignon, pour le coup - du moins de l'extérieur. A l'intérieur, la chambre est propre et agréable, même s'il manque un peu de vaisselle pour aller avec la kitchenette. Dans la salle de bains, une baignoire avec bain à remous fait trembler presque tout l'immeuble lorsqu'on enclenche le système, mais le bain chaud fait tout de même du bien.

Nous filons en ville, où nous avons repéré un magasin qui pourrait nous aider à réparer mon oreillette, qui est à nouveau en rade. C'est un magasin de musique, et après quelques minutes, le vendeur/réparateur accepte de ressouder le fil qui s'était détaché (peut-être ou peut-être pas à cause d'un mouvement un peu brusque de ma part...). Pour quelques dollars, le tout fonctionne à nouveau, même si la nouvelle soudure n'inspire pas franchement confiance. Nous allons bien voir ces trois prochains jours.

La Dalton, c'est la route qui mène jusqu'à Deadhorse, puis Prudhoe Bay, au bord de l'océan Arctique. C'est surtout 666 km (ça ne s'invente pas) de route réputée très difficile, avec de nombreuses sections de graviers ou de piste faite de terre compactée, de laquelle de nombreuses pierres de taille variable peuvent parfois s'échapper. Nous comptons un peu sur ce que nous avons pu constater jusqu'ici, c'est-à-dire que les routes sont souvent un peu moins difficiles que leur réputation ne le laisse entendre. Pourquoi y aller? Pour le défi, pour se trouver encore plus loin de tout, pour retrouver le plaisir que nous avions eu sur la Top of the World de rouler sur routes non asphaltées, et parce qu'elle est là, tout simplement.. Nous n'irons pas tout au bout, faute de temps et de préparation. Si l'on veut aller jusqu'à l'océan, il faut réserver un bus qui permet de parcourir les 10 derniers kilomètres. En effet, Prudhoe Bay est le site d'un énorme gisement pétrolier, le plus grand des USA. De quoi expliquer qu'une route telle que la Dalton continue d'être régulièrement entretenue, mais qui explique aussi que les lieux soient sévèrement gardés. Pas d'entrée possible pour les véhicules des particuliers, seuls des tours organisés peuvent y entrer. De plus, il faut passer une nuit à Deadhorse, le village à l'entrée du site, et pour cela réserver pour 200 dollars quelques mètres carrés dans des blocs préfabriqués. Une expérience intéressante, à partager avec tous les routiers qui acheminent du matériel jusque-là, mais que nous ne pourrons pas vivre, faute de place et de temps. Qu'importe, nous essaierons d'atteindre l'Atigun Pass, un col situé à environ 3/4 du chemin. Des italiens, rencontrés à Tok, nous avaient dit que depuis ce point on peut voir tout le North Slope, la pente douce qui mène jusqu'aux plaines arctiques et à l'océan.

Pour atteindre le début de la route, il faut déjà commencer par la Elliott Highway, qui part depuis Fairbanks en direction du Nord. Premier arrêt, Fox : dernière station service avant quelque temps. Notre ami zürichois rencontré à Dawson City nous avait dit : "Prenez un jerrican en plus, au cas où. Vous n'en aurez probablement pas besoin, mais better safe than sorry, comme on dit ici". Nous suivons son conseil, et partons de Fox sous un temps frais et gris. La Elliott est assez jolie, et entièrement goudronnée. En un peu plus d'une heure de route, nous atteignons le départ de la Dalton Highway.



Dès les premiers mètres, on quitte l'asphalte pour une piste faite de poussière et de graviers. Le décor est planté, et nous n'avons encore rien vu. Après la première petite montée, moins d'un kilomètre après le début, une aire de repos, avec une pancarte annonçant le parcours. Sur l'aire, un chauffeur est en train de faire des aller-retour entre la cabine de son camion et la remorque, qui sont pour l'instant séparées l'une de l'autre. Et pour cause : le support d'une des boîtes utilisées pour le transport des marchandises s'est affaissé. Du coup, la boîte, qui doit bien mesurer 1.5 à 2 mètres de côté, a versé sur le côté, et n'est retenue de tomber par terre que par les sangles qui l'entourent. Elle penche dangereusement, et le chauffeur est bien emprunté pour savoir quoi en faire.

Nous lui proposons notre aide. La seule chose à faire, c'est essayer d'utiliser d'autres sangles pour tirer sur la caisse et la ramener sur la plateforme. En utilisant un treuil, la caisse remonte doucement, centimètre par centimètre. Mais elle n'est plus tout à fait droite, et finit par venir s'encastrer dans les autres caisses. La sangle lâche subitement, et la caisse retombe brusquement d'un demi-mètre vers la gauche, jusqu'à ce que la sangle qui la retenait au début ne l'arrête dans sa chute. Au deuxième essai, le chauffeur arrête le treuil au bon moment, mais du coup la caisse dépasse encore nettement du bord gauche de la plateforme. D'autres camions s'arrêtent et les chauffeurs viennent aider. Nous ne pouvons plus faire grand chose pour aider, et nous avons beaucoup de route à faire, alors nous quittons l'endroit après les remerciements et la poignée de main virile du chauffeur.

Nous voilà tout à fait dans notre monde, n'est-ce pas?! En tout cas, nous sommes plongés d'entrée dans ce qui fait le côté aventure de cette route. Tout le monde est dans le même bateau ici, quel que soit le véhicule, l'origine, la raison d'être là : par conséquent, tout le monde s'entraide en cas de besoin, on est certain de ne pas se retrouver coincé trop longtemps au bord de la route, et d'avoir quelque chose à raconter. Cela nous rassure, surtout que nous n'avons pas pris de pneus de rechange...

Le temps est changeant. Des nuages rencontrés plus tôt, on passe à du grand soleil, avant de revenir à un ciel couvert, avec même quelques gouttes de pluie. Rien de bien méchant pour le moment. La route change un peu avec la météo : avec le soleil et le temps sec, une poussière impressionnante s'élève de la route. Par moments, on n'y voit presque plus rien quand on suit une voiture, ou pire, un camion. Lorsqu'on passe sur une section un peu plus humide, la poussière disparaît et la piste donne presque aussi confiance qu'une route goudronnée. Il y a bien quelques sections goudronnées, justement, mais il faut y faire attention aux nombreux nids-de-poule.


Nous arrivons au pont sur la rivière Yukon à l'heure du déjeuner. C'est le seul endroit où un ravitaillement en nourriture et en essence est possible jusqu'à Coldfoot, environ 200 km plus loin, alors la pause est de toute façon imposée.


Nous retrouvons Ian, le motard de Leeds rencontré quelques jours plus tôt au Motorcycle Shop d'Anchorage. Il nous raconte qu'entretemps il a parcouru la Denali Highway, encore plus difficile qu'ici, car surchargée de gravier. Les pleins faits (pour les motos comme pour nous), nous repartons, et arrivons peu de temps après au "Finger Mountain Wayside". Pour toute montagne, il s'agit plutôt d'une colline, sur laquelle se trouve une drôle de pierre en forme de doigt pointé vers Fairbanks, qui servait autrefois aux aviateurs pour se diriger. Difficile de croire qu'un petit monticule pas plus haut qu'un humain puisse si facilement être repéré depuis un avion, mais c'est en tout cas ce que racontent les panneaux d'information aux touristes. En tout cas, la colline donne un nouvel aperçu des grands espaces qui nous entourent, que surveille avec attention un écureuil arctique.





Environ 60 miles après la rivière, nous atteignons le cercle polaire. A l'aire de bord de route sur laquelle se trouve le panneau qui indique l'endroit fatidique, un abri de toile entouré d'une moustiquaire sert de lieu de méditation à un vieux couple de retraités, dans l'attente de touristes qu'ils accueillent ici tout l'été pour le compte du service des parcs. Madame se lève, et vient nous souhaiter la bienvenue, et nous propose de nous prendre en photo. Monsieur attend que nous allions lui dire bonjour sous la tente, et nous propose un petit diplôme commémoratif en échange d'une petite donation pour l'entretien du site. On se dit qu'il faut vraiment aimer le calme pour venir ici, mais assez rapidement d'autres touristes arrivent, et se voient proposer le même petit service : les journées ne sont peut-être pas si longues pour ces deux-là? La masse de livres qu'ils ont amené avec eux laisse tout de même planer le doute.


60 miles de plus, et nous voici arrivés à Coldfoot, après avoir suivi le pipeline qui achemine le pétrole de Prudhoe Bay jusqu'à la civilisation sur environ 400 kilomètres dans la journée. Après le cercle polaire, la route est redevenue principalement goudronnée. La flore a changé : les arbres, tellement privés de lumière en hiver, ne peuvent se permettre de pousser bien haut. On est rarement à plus de 500 mètres d'altitude, et pourtant on sent qu'on n'est pas loin de la limite entre la taïga (la forêt) et la tundra (petits buissons, mousses et lichens), des mots d'origine russe qui ont visiblement été diffusés par delà le détroit de Béring. Il s'est mis à pleuvoir, et l'esplanade de terre sur laquelle se trouvent le café et les pompes à essence de Coldfoot s'est gentiment transformé en une vaste étendue de boue, parsemée de grandes flaques. Le tout est bien glissant, surtout à basse vitesse, quand les roues se prennent plus facilement dans la moindre déformation au sol. Coldfoot et sa voisine Wiseman, où nous allons dormir, sont des petits patelins d'une quinzaine d'habitants, qui ne survivent que par leur mission de service aux usagers de la Dalton. A Wiseman, une chambre avec deux lits simples nous attend. Les quatre chambres du motel se trouvent côte à côte dans un bâtiment préfabriqué, doté d'un porche. Au bout de ce dernier, nous trouvons un espace cuisine/salon commun avec télévision et lecteur DVD, où nous passerons la soirée à regarder "Il était une fois dans l'Ouest", l'unique DVD à disposition.

Dehors, il s'est mis à pleuvoir de plus belle. Au réveil, le soleil perce à travers les nuages, mais en regardant au fond de la vallée vers le nord, on voit bien que les averses ne sont pas terminées. Le but de la journée est d'atteindre au moins l'Atigun Pass, environ 90 kilomètres plus loin, qui du haut de ses 1463 mètres, est le col routier le plus haut d'Alaska. Les 30 premiers kilomètres viennent d'être goudronnés - les travaux sont d'ailleurs encore en cours et il reste 2 kilomètres à terminer. Ensuite, c'est la terre compactée. Mais avec la pluie, cela n'a plus rien à voir avec la veille : une couche d'une espèce de gadoue, que les locaux appellent du silt, recouvre la route et la rend très glissante. Freiner s'avère très risqué, mais rouler lentement n'aide pas, au contraire - encore une fois, on contrôle moins bien la direction à basse vitesse, sans compter les risques de rouler à 30 km/h sur une route où les camions roulent à 80. Du coup, nous roulons aussi autour de 75 à 80 km/h, en espérant qu'aucun animal ne s'avise de traverser au mauvais moment. Lorsque nous tentons de nous arrêter pour respirer un peu et prendre quelques photos, il nous faut facilement 200 mètres pour arriver à stopper les motos. La route nous teste et teste les motos à fond : certainement les moments les plus excitants, les plus exaltants que nous ayons vécu sur nos deux fois deux roues. Les motos s'en souviendront, et nous aussi!






Nous arrivons après une bonne heure de route au pied du col. La route s'élève une première fois, régulièrement et sans trop de virages. On atteint alors une sorte de plateau, sur lequel se trouve une station de contrôle du pipeline, que nous suivons toujours. Peu après, la route commence à monter à nouveau, en pente plus douce pour commencer. La couche de boue devient alors plus épaisse. Les pneus commencent à avoir de plus en plus de difficulté à accrocher le sol, et nous sentons les motos louvoyer sous nos pieds de plus en plus souvent, et plus fort. Nous sommes obligés de ralentir, et cela renforce encore l'effet. Nous arrivons à 1200 mètres d'altitude, et voyons la route reprendre du pourcentage devant nous, pour aller se perdre dans le nuage.

 


La moto glisse une nouvelle fois alors que je tente de m'arrêter sur la route. Plus question de se mettre sur le côté pour s'arrêter, on filerait dans le caniveau et on n'en sortirait plus. Aurore s'arrête avec difficulté elle aussi. Nous nous regardons un moment, et nous nous comprenons. Il n'y a rien qui nous oblige à aller jusqu'en haut, nous n'y verrions de toute façon pas grand chose dans cette purée de pois. Et rouler là-dessus quand on voit ce qu'on fait est déjà assez difficile, alors quand on n'y voit plus rien et qu'on risque à tout bout de champ de se prendre un 36 tonnes ou de filer dans le ravin. Nous sommes arrivés au point le plus au nord de notre voyage, et franchement, nous ne sommes pas déçus de faire demi-tour, mais plutôt fiers d'être arrivés jusque-là. Aurore, qui avant le départ il y a 6 semaines n'était franchement pas rassurée à l'idée de faire quelques mètres sur du gravier, a été incroyable d'assurance. Nous n'avons pas croisé une seule femme à moto ici, et je n'en connais pas beaucoup qui auraient fait ce qu'elle a fait (tant pis si ça paraît sexiste). Et finalement, moi non plus je n'avais presque aucune expérience sur ce genre de route. Nous allons essayer de rentrer tranquillement, sans nous casser la figure, et contents d'être arrivés à repousser un peu nos limites.

La descente n'est pas simple, mais il n'y a personne, alors nous prenons notre temps et descendons entre 40 et 50 à l'heure. Tout en bas, comme pour ponctuer notre réussite, un camion nous croise à toute vitesse et nous douche entièrement de boue : la visière du casque devient un écran brun, que nous écartons tant bien que mal avec nos gants, et nous regagnons une aire en bord de route en rigolant comme des gamins.

Un peu plus tard, de retour au motel, la boue a séché et nous commençons le nettoyage tandis que l'eau du thé commence à bouillir.


4 comments:

  1. bienvenus au club des cercles polarisés!!!! :-P
    on y retournera en plein hiver sur le continent européen!!
    bisouuuuuus
    la_folle

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  2. je kiffe ta coupe de cheveux en sortie de casque Franci (et tes collants roses)!! ;-)
    la_folle

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  3. Génial de parcourir ces routes avec vous. On s'y croirait et c'est excitant de découvrir ces régions. Sympa l'écureuil ou est-ce un chipmunk - ou est-ce la même chose? bravo pour le strip-tease - j'ai bien reconnu l'artiste grâce aux chaussettes... Merci pour les émotions.

    P.S. Le seul choix de vidéo "Il était une fois dans l'Ouest" m'a fait rigoler. Cela valait mieux que "Into the Wild"...
    Muriel

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    1. tellement vrai pour la vidéo :-) bien vu Muriel!
      la_folle

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